Consultez-les à propos de leurs affaires : La gouvernance inclusive en Islam
Consultez-les à propos de leurs affaires : La gouvernance inclusive en Islam
Le verset coranique “…et consulte-les à propos des affaires…” (Sourate 3, Al-Imran, verset 159) nous invite à une réflexion profonde sur la nature de la gouvernance et du leadership. Cette recommandation, adressée au Prophète Mohammed (paix et salut sur lui), établit un principe universel et intemporel : la consultation est une clé essentielle dans la gestion de toute entité ou communauté. Elle met en lumière l’importance d’une gouvernance inclusive, où même le plus grand des leaders, en l’occurrence le Prophète, est invité à consulter ses compagnons. Ce rappel divin nous enseigne que nul, quelle que soit sa stature, ne détient seul le monopole de la sagesse et de la vérité.
L’exemple historique de la bataille de Badr illustre magnifiquement cette approche. Alors que le Prophète avait initialement choisi un emplacement, l'un de ses compagnons l’interpella, avec respect et pertinence, pour lui demander si cette décision provenait d'une révélation divine ou de son initiative personnelle, et suggéra un autre endroit. La réaction du Prophète fut exemplaire : non seulement il ne s'offusqua pas de cette proposition, mais il l'accueillit en toute humilité et l'adopta, reconnaissant sa pertinence stratégique. Il montre ainsi que la gestion des affaires communautaires est avant tout une responsabilité partagée.
Cela souligne aussi une vérité fondamentale : même l’envoyé de Dieu, modèle ultime, reconnaissait que la sagesse peut émaner de ses interlocuteurs. Ce geste d’humilité renforce l’idée que la consultation n’est pas seulement un outil pratique, mais une expression profonde de respect et de considération pour l’intelligence collective. La sagesse collective surpasse la vision individuelle, même lorsque celle-ci émane de l’autorité.
Cette sagesse s'oppose au fatalisme qui, trop souvent, sert d'excuse à la passivité et à l'inaction. Elle conduit à une réflexion plus profonde sur la nature même de l'Islam et sa conception du libre-arbitre. Contrairement à certaines interprétations réductrices, l'Islam récuse radicalement la conception fataliste de l’existence. Elle établit certes des dogmes fondamentaux - la foi en un Dieu unique, la croyance aux livres révélés, aux prophètes, aux anges, au jour du jugement dernier, au Paradis, à l'Enfer et au Décret divin, ainsi que l'observance des cinq piliers. Cependant, ces fondements dogmatiques, loin d'entraver la liberté humaine, constituent le cadre dans lequel s’épanouissent le libre-arbitre et la responsabilité individuelle.
L'anecdote du chameau non attaché illustre parfaitement cette philosophie. Lorsqu’un compagnon visita le Prophète (Paix et Salut sur Lui) après avoir laissé son chameau sans l’attacher, affirmant qu’il s’en remettait à Allah. La réponse du Prophète (Paix et Salut sur Lui) fut claire : "Attache-le d’abord, puis remets-toi à Dieu."
Cette réponse met en évidence une vérité profonde : la foi ne doit jamais être un prétexte à la paresse intellectuelle ou à l’irresponsabilité. La fatalité, souvent perçue comme une excuse, est incompatible avec l’Islam, qui valorise l’effort intellectuel, l’initiative et la prise de décision consciente. L’Islam enseigne que l’être humain, bien qu’assujetti à la volonté divine, est responsable de ses choix et de leurs conséquences. Cette réplique établit une hiérarchie claire entre responsabilité personnelle et confiance divine. Comment, en effet, pourrait-on attribuer à la volonté divine des actes qui résultent clairement de nos choix délibérés ? Mettre volontairement son doigt dans le feu et prétendre ensuite que cela relevait du décret divin relève de l’absurde.
Cette conception équilibrée du libre-arbitre enrichit considérablement notre compréhension de la consultation. Si nous sommes libres et responsables de nos choix, la consultation devient non seulement un outil de gouvernance, mais une expression de notre responsabilité collective. Chaque participant à une consultation porte la responsabilité de contribuer sincèrement et judicieusement à la réflexion commune.
Le Coran nous interpelle également à une réflexion sur le rôle du cœur, comme dans ce verset de la sourate Al-Hajj : "N'ont-ils pas parcouru la terre et eu des cœurs avec lesquels ils puissent comprendre, ou des oreilles avec lesquelles ils puissent entendre ? Car ce ne sont pas les yeux qui s'aveuglent, mais ce sont les cœurs dans les poitrines qui s'aveuglent." (22:46)
Ce verset souligne que la compréhension profonde ne réside pas seulement dans l’intellect, mais dans le cœur, siège de la foi, de la conscience et de la sagesse intérieure. Le hadith rapporté par At-Tirmidhi, “La main d’Allah est avec le groupe”, résonne profondément avec ces principes. Il rappelle que la vérité et la guidance divines se manifestent dans la collectivité, dans la capacité à se consulter, à s’écouter et à rechercher ensemble le bien commun.
Ces paroles rappellent que l’unité est une source de miséricorde, de force et de bénédictions. Ils illustrent parfaitement le principe selon lequel la consultation n’est pas seulement un mécanisme de gouvernance, mais une pratique spirituelle qui consolide la communauté et invite à la recherche collective de la vérité et du bien commun. L’Islam valorise fortement l’unité, la solidarité et la concertation au sein de la communauté musulmane (Ummah).
Le troisième khalife de la Mouridiyya apportait une dimension spirituelle complémentaire en enseignant que : « Le Seigneur n’a pas de cœur mais si les musulmans s’unissent, Il devient leur cœur. » Cette métaphore puissante souligne que Dieu inspire les musulmans lorsqu’ils s’unissent et se concertent pour trouver des solutions. Ainsi, l’union des cœurs et des esprits est un canal de sagesses qui mène vers l’inspiration divine. Serigne Abdoul Ahad Mbacké confirme en s’adressant à un groupe de disciples à qui il confie que, chaque fois que vous usez de la concertation, vous recevrez l’inspiration du Cheikh Ahmadou Bamba.
Ce verset est corroboré par les propos Serigne Mountakha Mbacké, actuel Khalife de la Mouridiyya, qui s’adressait à un dahira en ces termes : « Lorsque je vous étudie, je le fais avec le cœur ». Cette affirmation, qui pourrait sembler purement métaphorique ou spirituelle, trouve aujourd'hui un écho remarquable dans les découvertes scientifiques modernes.
En effet, les neurosciences révèlent que le cœur, doté d’un système nerveux complexe, influence directement le cerveau et les processus de décision. Il transmet des signaux plus rapides et précis que l’intellect rationnel, corroborant la vision islamique du cœur comme centre de compréhension.
Cette convergence entre science et spiritualité nous rappelle que les grandes traditions spirituelles, loin d'être opposées à la science, peuvent anticiper et éclairer ses découvertes.
Pour être véritablement efficace, la consultation requiert certaines dispositions essentielles. Le leader doit faire preuve d'humilité authentique, être capable d'initiative dans le dialogue tout en restant réceptif aux suggestions constructives de ses collaborateurs et rechercher l’union des esprits et des cœurs. Cette ouverture d'esprit ne diminue en rien son autorité ; au contraire, elle la renforce en la légitimant par la sagesse et le respect mutuel.
Cette approche consultative nous rappelle que la gouvernance n'est pas un exercice de pouvoir solitaire, un simple exercice de démocratie participative, mais une responsabilité partagée qui s'enrichit de la diversité des perspectives et des expériences. Elle nous invite à cultiver l'humilité, l'écoute et l'ouverture d'esprit, qualités essentielles pour construire des communautés et des organisations harmonieuses et prospères. Une approche où l’autorité n’est pas imposée mais légitimée par la sagesse collective, où chaque individu est reconnu dans sa capacité à contribuer au bien commun.
Dans notre monde moderne, ces principes trouvent une résonance particulière. Qu'il s'agisse de gérer une entreprise, de diriger une communauté ou de gouverner un pays, la consultation inclusive apparaît comme une clé de succès incontournable. Elle permet de mobiliser les intelligences, de fédérer les énergies et de construire des solutions durables aux défis complexes de notre temps.
La consultation, telle qu'enseignée par l'Islam, offre ainsi un modèle de gouvernance qui transcende les contextes religieux et culturels, proposant une voie d'équilibre entre autorité et participation, entre sagesse divine et intelligence humaine, entre responsabilité individuelle et collective. Cette approche intégrative offre des perspectives précieuses pour repenser nos modèles de leadership et de prise de décision collective.
scheikhouna@gmail.com
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