LA PERSPECTIVE ISLAMIQUE SUR L’IMPORTANCE DU TEMPS

 LA PERSPECTIVE ISLAMIQUE SUR L’IMPORTANCE DU TEMPS : du mondialisme à la spiritualité 

Le temps, ressources inestimable, semble échapper à la gestion de l’homme modernisé. Beaucoup d’entre les gens semble ignorer la notion, la valeur ainsi que les avantages liés à la gestion rationnelle du temp. Le nombre de tours d’horloge est-il toujours égal à 24 heures  se demandent les gens. Les expressions courantes telles que "course effrénée", "fuite du temps", ou "manque de temps" reflètent une perception souvent déformée de la durée quotidienne. L'arrivée d'une échéance provoque fréquemment la surprise, comme si le temps s'écoulait à une vitesse inhabituelle. À l'inverse, certains perçoivent parfois le temps comme une lente progression, voire un fardeau. Ces appréciations variées soulignent la nature subjective du temps.

Cette perception de rapidité ou de lenteur peut dépendre de divers facteurs : l’état physique ou mental, le climat, le moment de la journée. Les émotions ressenties c’est-à-dire les sentiments de bien-être ou de mal-être, influent largement sur cet attribut du temps. Cette subjectivité est encore selon les activités ou le niveau de vie des personnes, voire même, au plan macrocosmique, de l’essor économique des pays.

Quels changements fondamentaux dans nos sociétés modernes ont modifié notre relation au temps ? La révolution industrielle et l'essor technologique ont certainement joué un rôle important. L'impact considérable de la technologie a engendré des transformations rapides dans tous les domaines de l'existence. À l'échelle mondiale, la quête effrénée de richesse et de profit résulte d'une compétition intense et malsaine. Les progrès en agriculture et dans l'industrie sont motivés par un désir constant d'accumulation et de démonstration de supériorité. Cette rivalité sans merci impose une loi du plus fort, où la volonté de dominer se traduit par une productivité accrue et une expansion géopolitique et économique. Dans ce contexte, chaque instant compte.

L'humanité semble vouloir dépasser le temps plutôt que de simplement le suivre. Cela se manifeste à travers des moyens de transport ultrarapides, une restauration accélérée, une alimentation industrialisée aux conséquences sanitaires préoccupantes. Les conséquences liees à cette volonté d’atteindre la vitesse lumière sont nombreuses et ahurissantes.

La technologie, sans limite ni éthique, participe à cette accélération, tant dans la rapidité des innovations que dans leur conception. Cela a fortement accentué la précipitation dans l'acquisition de biens matériels et contribué à l'émergence rapide d'une société de consommation globalisée.

Ainsi le matérialiste est fortement influencé dans son rapport au temps, d’où l’adage « le temps, c’est de l’argent ». Cette attitude traduit une vision réduite à un monde sans lendemain, où l’on cherche à atteindre un bonheur suprême et immédiat. La quête de plaisirs extrêmes défie toute rationalité et morale. L'hédonisme devient l'objectif ultime de cette vie terrestre, incitant à en profiter au maximum avant la mort. Ici, le temps est à l’accumulation de biens, à la thésaurisation, à l’acquisition du pouvoir. La valeur du temps est liée aux intérêts immédiats et mondains et peut donc dépendre d’objectifs limités dans le temps et dans l’espace.

Du point de vue religieux, qui influence constamment la vie des individus, la perception du temps peut prendre une dimension métaphysique. La religion vise à atteindre la félicité ici-bas et dans le Paradis éternel. Cette finalité, cette fois, renvoie à une autre réalité du temps et de l'espace. Le temps s’étend infiniment dans un espace immatériel (l’au-delà). Le rapport temps/espace prend alors une autre dimension pour le croyant. C’est ici qu’intervient l’intitulé de ce texte : « le musulman face au défi de son temps ». L’importance du temps pour le fidèle et son utilisation sont liées à sa mission de représentant sur terre, une mission qui sera évaluée à terme selon le rapport temps/action.

Le musulman doit comprendre que le temps est action, ce sont deux entités corrélatives. Le temps, c’est la vie (al-waxtu huwa al-hayaat) disent les érudits. L’existence humaine est intimement liée au temps. Le perdre équivaut à sacrifier toute son existence. C’est la plus précieuse, la plus importante valeur de la vie, car tout se réalise en son sein. Rien n’aurait été possible sans cette notion. L’action s’inscrit dans le temps qui l’influence considérablement. Elle ne dépend pas de la durée mais de son emploi judicieux. Le temps ne limite pas l’action, mais il la délimite. Le temps est la propriété de l’action si le croyant l’utilise à bon escient. Cette utilisation se définit en fonction de ses objectifs dans ce monde qui sert de tremplin vers l’au-delà. « Et recherche à travers ce qu’Allah t’a donné, la Demeure dernière. Et n’oublie pas ta part en cette vie. » (Coran, 28 :77). À aucun moment, le fidèle ne doit compromettre le bonheur éternel pour cette vie présente, limitée dans le temps. Il le regrettera sans nul doute. « O   jeune homme, ne troque pas l’au-delà contre la vie d’ici-bas. Certes, quiconque échange la lumière contre les ténèbres, le regrettera » avertit Cheikh Ahmadou Bamba dans le dernier vers de son poème « Kun kaatiman » (Sois endurant).    

Le temps est la richesse la mieux répartie dans cet univers. Quel que soit la position géographique, le niveau de développement, les politiques en place ou les conditions sociales, il s’avère que la rotation de la terre fournit à chaque être vivant 24 heures par jour. C’est dans cette constante temporelle que les individus, les peuples et les sociétés se surpassent les uns des autres. Le jour de la rétribution des comptes, l'évaluation se fera sur la base des actions accomplies, non sur la durée de l'existence terrestre. Comme l’a rapporté le prophète Muhammad (Paix et Salut sur Lui) : « Dieu m’a révélé ceci : « Ô mes serviteurs ! Ce sont vos actes dont Je tiens compte et c’est selon eux que Je vous rétribuerai. Aussi, celui qui récoltera du bien, qu’il dit louange Allah. Quant à celui qui récoltera autre chose que cela, qu’il ne s'en prenne qu'à lui-même."

Dans cette optique, la valeur d'un laps de temps se mesure à l'aune des bonnes actions qu'il contient. Le fidèle musulman ne doit pas se préoccuper de la durée, qu'elle soit brève ou prolongée, mais plutôt de l'optimisation de chaque instant. Dans son ouvrage Massalikoul Jinaan (vers 96 à 99), le Cheikh Ahmadou Bamba exhorte à s'engager avec détermination dans la pratique régulière des bonnes actions et à fuir la paresse. Il recommande de vivre comme si ta fin était imminente. En persévérant face aux épreuves de ce monde tout en respectant ces préceptes, on obtiendra le salut et accédera à une joie éternelle dans le Paradis céleste.

Les citations ci-dessus montrent avec force que ce monde est le tremplin offert au croyant pour réussir son salut dans l’autre monde. L’esclave de Dieu subit le temps qui ne cesse de le traquer, avec la mort à ses trousses qui surprend toujours la plupart de ses frères de religion. L’ascète Hasan Al Baçri disait que la personne est l’addition de son temps, chaque journée qui passe constitue une soustraction.

Le temps qui passe est irréversible, même si les jours, les semaines, les mois et les années se ressemblent dans ce cycle qui tend inexorablement vers sa fin. Dans cette rotation, la vie de chaque individu a un terme auquel il ne peut échapper. « À chaque communauté un terme. Quand leur terme arrive, ils ne peuvent ni le retarder d’une heure ni l’avancer. » S.10 V.49.

Le musulman se doit donc de s'engager dans une course aux bonnes actions avant l'échéance fatale et imprévisible. Les élus de Dieu l'ont compris, mais le croyant ordinaire n’y prend garde, voire s'enlise dans l'oisiveté. Serigne Fallou Mbacké enseignait : "Tout se joue dans le présent, le passé est révolu et le futur ne nous appartient pas." Chaque moment est précieux, sans possibilité de le différer ou de l'économiser pour plus tard. "L’aspirant véridique est celui qui utilise judicieusement son temps, sans reporter aucune tâche, car l'ajournement entrave souvent l'accomplissement des devoirs."

La réalité est que le musulman d’aujourd’hui gaspille beaucoup de son temps dans des activités futiles. Le mondialisme a capté toute son attention par le biais des nouvelles technologies de la communication, au pouvoir kaléidoscopique extraordinaire. Chaque jour apporte son lot de nouveautés, alimentant un appétit insatiable animé de passion, de jouissance extrême, ardente, désordonnée, insensée, purement mondaine. Je n’ai point besoin de m’étaler sur les pièges et les effets néfastes de ces outils consommateurs excessifs d’heures que personne n’ignore.

Ibn al-Qayyim al-Jawziyya affirmait : « La perte du temps est pire que la mort, car la perte de temps te coupe d’Allah et de la demeure dernière, tandis que la mort te coupe seulement de la vie et des êtres vivants. ». Dans son célèbre ouvrage « Les itinéraires du Paradis », le Serviteur du Prophète (paix et salut sur Lui), Kadimou Rassoul, recommande : "Profite du reste de ta vie en regrettant le temps passé non consacré aux bonnes actions. Hâte-toi vers les œuvres pieuses avant qu'il ne soit trop tard. Sois économe de ton temps, en valorisant chaque instant et chaque souffle. Sachant que le temps d'une respiration est inestimable, pouvant acheter un trésor immense. Le laisser passer sans bonnes actions est une grande perte le jour du Jugement, et le passer dans la désobéissance est la pire des catastrophes. Vivifie les heures de ta vie par des actes surérogatoires, après avoir accompli tes obligations, en fuyant la négligence. Efforce-toi constamment dans les bonnes actions, avec une intention pure, sans jamais te lasser.

Gaspiller son temps ne se limite pas aux activités futiles, mais inclut aussi tout ce qui n'a pas de valeur dans ce monde ni dans l'au-delà. Le musulman sincère évite l'oisiveté synonyme d'actions sans récompense, comme répondre aux besoins naturels sans formuler d'intention pieuse (niyya). Ainsi, manger, boire, dormir restent sans rétribution s'ils ne visent qu'à satisfaire un besoin vital. La philosophie islamique ne conçoit pas d'actes méritoires sans intention pieuse (niyya).

Khadimou Rassoul enseignait qu'un disciple sincère doit abandonner les habitudes profanes. Il encourageait ses disciples à imiter les compagnons du Prophète qui précédaient toujours leurs actions d'une intention pieuse. Serigne Abdoul Ahad Mbacké rappelait que ces pieux prédécesseurs ne profitaient pleinement de leur sommeil qu'après le décès de leur maître, qui ne leur accordait jamais de répit. Il leur disait que le disciple est le fils de son temps. Nuit et jour, matin et soir, il s’activait pour enfin de compte charger surabondamment chaque 24 heures de bonnes œuvres, nous rapportait le troisième Khalife de Cheikh Ahmadou Bamba.

Louanges au Créateur, qui nous a gratifiés du temps, ce parfait instrument de mesure et d'évaluation de nos actes. Comme il est dit dans le Coran : « C’est Lui qui a fait du soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps). Allah n’a créé cela qu’en toute vérité. Il expose les signes pour les gens doués de savoir. Dans l’alternance de la nuit et du jour, et aussi dans tout ce qu’Allah a créé dans les cieux et la terre, il y a des signes, certes, pour des gens qui craignent (Allah). » S 10 V 5 et 6.

Le Seigneur jure par le temps, montrant à quel point il faut s’en soucier. « Par le Temps ! L’homme est certes en perdition. » S.103 V.1 et 2.

« Par le Jour Montant ! Et par la nuit quand elle couvre tout ! » S 93 V 1 et 2.

« Par la nuit quand elle enveloppe tout ! Par le jour quand il éclaire ! » S 92 V 2.

« Par l’Aube ! Et par les dix nuits. » S 89 V 1 et 2.

« [L’échéance] du règlement de leur compte approche pour les hommes, alors que dans leur insouciance, ils s’en détournent. » (S 21 V 1).

Le temps est le témoin constant de notre existence. Non seulement il encadre les actions humaines, mais il les suit et les observe pour en témoigner, que ce soit en faveur ou en défaveur de l'individu, le jour de la résurrection. À ce moment-là, chacun sera interrogé sur la manière dont il a employé son existence, sur ses occupations durant les différentes étapes de son parcours terrestre. Le Créateur a ainsi établi le temps comme un témoin immuable de l'utilisation de notre vie, instaurant de ce fait une relation profonde entre la temporalité et le fidèle musulman.


Cheikhouna Seck Baay Faal bi 

scheikhouna@gmail.com 



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Et si la prière était notre meilleure séance de sport ?

Mame Cheikh Ibrahima Fall : Le Paradoxe d’une mission utopique et abyssale

INAUGURATION MOSQUÉE HIZBUT-TARQIYYAH